Saad Sebti, notre coordonnateur marketing et développement, a répondu à la question d’un auditeur hier à l’émission Moteur de Recherche sur Radio-Canada : Est-ce qu’’il existe et sinon, pourquoi il n’existe pas de système d’exploitation libre du type Linux pour les cellulaires ? Quelles seraient/sont les contraintes l’empêchant ou le limitant ?
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Voici donc sa réponse, avec des liens et des détails additionnels :
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Pour commencer, qu’est-ce qu’un système d’exploitation ?
Le système d’exploitation, qu’on appelle Operating System en anglais (ou OS), c’est l’interface entre vous et votre téléphone, qui va le commander dès son démarrage pour le faire fonctionner.
On pourrait citer une vingtaine de systèmes d’exploitation pour cellulaires sur le marché aujourd’hui. Mais selon les données de NetMarketShare au mois d’août 2022, seulement deux d’entre eux se taillent la part du lion :
- Android de Google : 75% du marché.
- iOS d’Apple : 21%, qu’on retrouve sur les iPhones.
- Les miettes qui restent, c’est Linux, Windows et autres OS
Alors oui, pour répondre à la question de notre auditeur, il existe bien des alternatives libres qui tranquillement, grignotent des parts de marché.
Mais pourquoi voudrait-on changer d’OS ?
La technologie évolue au gré des générations d’appareils, aussi bien iPhones qu’Android, laissant sur le carreau les plus anciens modèles. Il serait tentant de remplacer votre cellulaire privé des mises à jour de son système d’exploitation, par un nouvel appareil dernier cri. Mais c’est problématique au niveau des enjeux environnementaux (pensez à la raréfaction des ressources, à la pollution liée à la fabrication, aux déchets technos), ainsi que des enjeux sociaux, économiques et géopolitiques. C’est pourquoi pour contrer cette obsolescence logicielle il existe des systèmes d’exploitation alternatifs, libres, mis à jour régulièrement et qui prennent en compte les plus anciens modèles.
D’autre part, les systèmes d’exploitation libres ont à cœur le respect de la vie privée. D’après une étude publiée en 2018 par Digital Content Next et citée par la fondation /e/, il y aurait jusqu’à 50 collectes passives de données par heure sur un système iOS et jusqu’à 90 sur un système Android !
Les systèmes d’exploitation libres sont également moins gourmands en ressources et en espace de stockage, ce qui est franchement un gros plus pour les téléphones plus anciens qui ont des capacités limitées. Ils utilisent moins de données, moins de processus fonctionnent en arrière-plan, ce qui signifie moins de consommation d’énergie qu’un appareil standard.
Les contraintes
Alors proposer des alternatives aux systèmes d’exploitation dominants, c’est une belle idée, mais il faut savoir qu’il y a effectivement des contraintes.
J’ai interrogé Cyrille Maltot, Président de l’association AGIT Québec (Alliance pour une Gestion Informatique Techno-Responsable).
Voici ce qu’il nous dit.
Rappelons-nous tout d’abord qu’un téléphone dit « intelligent », qu’on appelle aussi smartphone, ordiphone ou plus communément cellulaire, est un mini-ordinateur mobile équipé, entre-autre, d’une fonction de téléphone.
Concevoir et maintenir à jour un système d’exploitation est une tâche très complexe pour les développeurs. Ils doivent pour cela accéder à l’architecture technologique du cellulaire, avec toutes sortes de combinaisons de microprocesseurs et composants. Bref il y a beaucoup d’architectures de machines différentes dont certaines sont complètement propriétaires et fermées. Il y a aussi des contraintes propres aux caractéristiques parfois très différentes des modèles.
Donc pour une communauté de développeurs, c’est assez ardu, d’autant que les utilisateurs ont tendance à ne pas garder assez longtemps leur appareil ce qui entraîne un effet d’obsolescence de la version du système d’exploitation que les développeurs ont conçu.
Mais le problème d’obsolescence n’est pas seulement du côté du système d’exploitation, il peut être à 2 autres niveaux.
1) Dans les applications installées sur votre téléphone.
Même si votre cellulaire marche toujours très bien dans ses fonctions de base, certaines applications évoluent en n’étant plus compatibles avec la version de votre système d’exploitation. Cette évolution est décidée par les concepteurs de l’application.
2) L’obsolescence peut aussi venir de la partie distante, c’-à-d le site web ou l’application connectée.
Cyrille Maltot cite l’exemple de son fidèle BlackBerry Classic, qu’il utilise toujours activement pour toutes ses fonctions de base (téléphone, horloge, calendrier, gestion de contacts, etc.). Seulement, il arrive de moins en moins à naviguer sur le web. Ce sont les sites Web qui deviennent incompatibles avec le navigateur intégré de son BlackBerry.
Il y a donc 3 couches à considérer et c’est ce qui rend les choses complexes pour les équipes de développeurs de différents niveaux pour assurer la compatibilité (et la rétrocompatibilité) des applications avec le plus possible de versions de systèmes d’exploitation.
Les différentes alternatives
Pour en revenir aux alternatives aux systèmes d’exploitation dominants (Android et iOS), il y a quelques initiatives intéressantes.
Selon Mathieu Gauthier-Pilote (Président de l’association FACIL, pour l’appropriation collective de l’informatique libre) ça bouge en ce moment. On recense plus d’une dizaine de projets de cellulaires open-source et une vingtaine de projets d’OS libres actifs en ce moment, à différents stades de développement. Vous n’allez peut-être pas retrouver nécessairement votre téléphone dans la liste des appareils supportés, pour les raisons évoquées par Cyrille Maltot un peu plus tôt, mais il se peut qu’il y soit ajouté à un moment donné. Je ne vais pas citer toutes les alternatives à Android et iOS mais voici une petite sélection :
Systèmes d’exploitation open source basés sur Linux :
Il faut le dire, ça peut être un peu compliqué à installer sur son appareil quand on ne s’y connaît pas.
Systèmes d’exploitation basés sur Android mais en open source :
Qu’on appelle également des custom ROM.
Comme ils sont « dégooglisés » ils ont accès à d’autres applications que celles du Google Play Store.
Projets de cellulaires open source
Si vous voulez vous procurer un nouvel appareil, il commence tranquillement à y avoir des choix de modèles venant avec un système d’exploitation libre.
- Le fameux Fairphone
- PinePhone (avec Plasma / Manjaro)
- Librem_5 (avec Pure OS)
- Volla Phone (avec Ubuntu Touch / Volla OS)
- Si on est un peu bricoleur, il est également possible de construire soi-même un téléphone à partir de matériel et de logiciels partiellement ouverts. Ex : Arduino Phone, PiPhone…
Cyrille Malot pense justement que la solution viendra des entreprises telles que Fairphone, qui maîtrisent le choix de leurs architectures technologiques (microprocesseur, composants, etc.). Ça permet à leurs concepteurs de travailler sur des alternatives. Par exemple le Fairphone 4 Murena tourne sous /e/OS, Lineage OS et Ubuntu Touch.
Et pour les applications :
– Si vous êtes sur Android mais que vous ne voulez pas (encore) migrer vers un système d’exploitation libre, vous pouvez toujours commencer par installer F-Droid sur votre téléphone pour faciliter une transition ultérieure. C’est comme un AppStore ou un Google Play Store, mais avec des applications libres et open source.
– Si vous voulez absolument garder vos apps Android favorites :
- Sur LineageOS et /e/OS, les services de Google sont remplacés par leur substitut libre micro G.
- Pour ajouter des applications du Google Play Store mais sans passer par lui, vous pouvez installer Aurora Store ou Yalp Store
Conclusion
Opter pour un cellulaire libre c’est un choix économique, écologique, sécuritaire, équitable et durable. Au lieu de remplacer votre téléphone, vous pouvez lutter contre l’obsolescence en remplaçant l’OS par un système d’exploitation alternatif libre et open source. Vous pourrez ainsi le garder à jour et sécurisé pendant des années. Il y a des projets de plus en plus solides qui vous sont proposés. Ce n’est pas encore très connu, mais il y a de gros progrès depuis quelques années, alors qu’on n’en parlait pas du tout !